L’Encadrement Juridique des Transports Verts : Défis et Perspectives pour une Mobilité Durable

Face à l’urgence climatique, les transports verts s’imposent comme une solution incontournable pour réduire l’empreinte carbone du secteur des transports, responsable de près de 30% des émissions de gaz à effet de serre en Europe. Le cadre juridique entourant ces mobilités alternatives connaît une évolution rapide, tant au niveau international que national. Entre incitations fiscales, réglementations contraignantes et objectifs ambitieux de décarbonation, le droit devient un levier majeur de la transition écologique dans les transports. Cet encadrement juridique, encore en construction, doit relever le défi d’accompagner l’innovation tout en garantissant sécurité et équité. Examinons les dispositifs légaux qui façonnent l’avenir des mobilités durables et leurs implications pour l’ensemble des acteurs concernés.

Le cadre juridique international et européen des mobilités durables

L’encadrement juridique des transports verts s’inscrit d’abord dans un contexte international marqué par les accords climatiques. L’Accord de Paris de 2015 constitue la pierre angulaire de cette architecture normative en fixant l’objectif de maintenir le réchauffement climatique bien en-dessous de 2°C. Pour le secteur des transports, cela se traduit par des engagements nationaux de réduction des émissions qui influencent directement les législations nationales.

Au niveau européen, le Pacte Vert (Green Deal) lancé en 2019 représente l’initiative la plus ambitieuse avec son objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Dans ce cadre, la Commission européenne a adopté en 2021 le paquet législatif « Fit for 55« , qui vise à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030. Pour les transports, cela implique plusieurs mesures phares :

  • Le règlement sur les normes d’émissions de CO2 pour les véhicules neufs, avec l’interdiction de vente des véhicules thermiques neufs à partir de 2035
  • La directive sur le déploiement d’infrastructures pour carburants alternatifs (AFIR)
  • L’extension du système d’échange de quotas d’émission (SEQE) au transport routier et maritime

La réglementation européenne des véhicules à faibles émissions

Le règlement (UE) 2019/631 établit des normes de performance en matière d’émissions pour les voitures particulières et les véhicules utilitaires légers neufs. Cette législation impose aux constructeurs automobiles des objectifs contraignants de réduction des émissions moyennes de leur flotte. En cas de non-respect, des pénalités financières substantielles sont prévues, calculées en fonction du dépassement des limites d’émission et du nombre de véhicules immatriculés.

La directive 2014/94/UE sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs complète ce dispositif en imposant aux États membres de développer des réseaux de points de recharge pour véhicules électriques et stations d’avitaillement pour carburants alternatifs (hydrogène, GNV). Sa révision dans le cadre du paquet « Fit for 55 » renforce considérablement les objectifs de déploiement, avec l’obligation d’installer des bornes de recharge tous les 60 km sur les grands axes routiers européens d’ici 2025.

Dans le domaine aérien, le programme CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation) de l’OACI et l’intégration de l’aviation dans le SEQE-UE constituent les principaux instruments juridiques pour réduire l’impact environnemental du transport aérien. Pour le transport maritime, l’Organisation Maritime Internationale (OMI) a adopté en 2018 une stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui vise à les diminuer d’au moins 50% d’ici 2050 par rapport à 2008.

Le dispositif juridique français en faveur des transports durables

La France a progressivement élaboré un arsenal juridique complet pour favoriser la transition vers des mobilités plus respectueuses de l’environnement. La Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) de 2019 constitue le texte fondateur de cette politique, avec l’objectif affiché d’une décarbonation complète des transports terrestres d’ici 2050.

Cette loi instaure plusieurs dispositifs structurants comme les Zones à Faibles Émissions mobilité (ZFE-m), rendues obligatoires dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici fin 2024. Ces zones limitent la circulation des véhicules les plus polluants selon leur vignette Crit’Air. La mise en œuvre de ces ZFE-m relève de la compétence des collectivités territoriales, qui doivent définir leur périmètre, les catégories de véhicules concernées et les modalités de contrôle.

En matière fiscale, plusieurs mécanismes visent à orienter les choix des consommateurs et des entreprises :

  • Le bonus écologique pour l’achat de véhicules électriques ou hybrides rechargeables
  • La prime à la conversion pour le remplacement d’un véhicule ancien par un modèle moins polluant
  • Le malus écologique basé sur les émissions de CO2 des véhicules neufs
  • Le malus au poids pour les véhicules de plus de 1800 kg

Les obligations légales pour les flottes d’entreprises et les administrations

La loi LOM a instauré des obligations progressives de verdissement pour les flottes d’entreprises et les administrations. Ainsi, lors du renouvellement annuel de leur parc, les entreprises gérant une flotte de plus de 100 véhicules doivent acquérir un minimum de 10% de véhicules à faibles émissions depuis 2022, ce taux passant à 20% en 2024, puis 40% en 2027 et 70% en 2030.

Pour le secteur public, les objectifs sont encore plus ambitieux : l’État et ses établissements publics doivent intégrer au moins 50% de véhicules à faibles émissions dans leurs achats annuels depuis 2020. Les collectivités territoriales et leurs groupements sont soumis à un objectif de 30%, qui passera à 37,4% en 2026.

La loi Climat et Résilience de 2021 est venue renforcer ce dispositif en fixant des échéances pour la fin de vente des véhicules émettant plus de 95g CO2/km à partir de 2030, et en élargissant les obligations de verdissement aux véhicules lourds. Elle a également créé l’obligation pour les régions d’installer des voies réservées aux véhicules propres et au covoiturage sur les grands axes routiers.

Les enjeux juridiques spécifiques aux différents modes de transport vert

Chaque mode de transport vert présente des défis juridiques particuliers qui nécessitent des réponses adaptées du législateur. La mobilité électrique soulève notamment des questions relatives à l’accès aux infrastructures de recharge. Le droit à la prise, instauré par la loi de transition énergétique de 2015 et renforcé par la loi LOM, permet à tout occupant d’un immeuble collectif de faire installer à ses frais une borne de recharge sur sa place de parking, le syndic ne pouvant s’y opposer sans motif sérieux et légitime.

La question du statut juridique des infrastructures de recharge reste complexe. Si les bornes installées sur le domaine public relèvent généralement d’une délégation de service public ou d’une concession, celles déployées par des opérateurs privés soulèvent des interrogations en termes d’interopérabilité et d’accès universel. Le règlement délégué 2017/1926 de la Commission européenne impose des obligations d’ouverture des données relatives aux points de recharge, tandis que la directive 2018/844/UE établit des exigences minimales pour les bâtiments en matière d’infrastructures de recharge.

Le cadre juridique des mobilités partagées et actives

Les services de mobilité partagée (autopartage, covoiturage, vélos et trottinettes en libre-service) ont nécessité l’élaboration de règles spécifiques. La loi LOM a créé un cadre juridique pour ces nouveaux services, notamment en définissant légalement l’autopartage et le covoiturage, et en permettant aux collectivités de délivrer des labels aux opérateurs respectant certains critères environnementaux et sociaux.

Pour les engins de déplacement personnel motorisés (EDPM) comme les trottinettes électriques, le décret n°2019-1082 du 23 octobre 2019 a fixé leurs conditions de circulation et les équipements obligatoires. Les collectivités peuvent réglementer leur usage sur leur territoire, comme l’a fait la Ville de Paris en instaurant un système d’autorisation préalable pour les opérateurs de free-floating, avant de décider par référendum l’interdiction complète des trottinettes en libre-service en 2023.

Concernant les mobilités actives (vélo, marche), la loi LOM a renforcé leur place dans les politiques de mobilité en créant un fonds national mobilités actives doté de 350 millions d’euros sur 7 ans pour cofinancer les infrastructures cyclables. Elle a également rendu obligatoire le marquage des vélos neufs pour lutter contre le vol, et imposé aux gestionnaires de gares et pôles d’échange de prévoir des stationnements sécurisés pour vélos.

Le forfait mobilités durables, créé par la loi LOM et élargi par la loi Climat et Résilience, permet aux employeurs de verser jusqu’à 700 euros par an, exonérés de charges sociales et fiscales, aux salariés utilisant des modes de transport durables pour leurs déplacements domicile-travail. Ce dispositif illustre la volonté du législateur d’utiliser les incitations financières pour modifier les comportements de mobilité.

Les enjeux de responsabilité juridique liés aux nouvelles mobilités

L’émergence des transports verts s’accompagne de nouveaux questionnements en matière de responsabilité civile et pénale. Le développement des véhicules autonomes, présenté comme une solution pour optimiser les flux de circulation et réduire la consommation énergétique, pose la question fondamentale de la responsabilité en cas d’accident. La loi n°2019-486 du 22 mai 2019 (loi PACTE) a autorisé le gouvernement à légiférer par ordonnance pour adapter le droit de la responsabilité civile à ces véhicules, aboutissant à l’ordonnance n°2021-443 du 14 avril 2021 qui crée un régime spécifique.

Ce texte maintient l’application de la loi Badinter de 1985 sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, tout en précisant la responsabilité du conducteur lorsque le système de délégation de conduite est activé. En cas de défaillance du système, la responsabilité peut être partagée entre le constructeur, l’équipementier et le fournisseur de services numériques selon les principes de la responsabilité du fait des produits défectueux.

La responsabilité des opérateurs de mobilité partagée

Les services de mobilité partagée soulèvent des questions spécifiques de responsabilité. Pour les plateformes de covoiturage, la jurisprudence tend à considérer qu’elles n’ont qu’une obligation de moyens dans la mise en relation des utilisateurs, mais leur responsabilité peut être engagée en cas de manquement à leur obligation d’information ou de défaut de vérification minimale des profils.

Concernant les opérateurs de free-floating (trottinettes, vélos, scooters en libre-service), leur responsabilité peut être engagée pour défaut d’entretien du matériel mis à disposition. La question de leur responsabilité dans l’encombrement de l’espace public a conduit de nombreuses collectivités à adopter des chartes de bonne conduite ou des conventions d’occupation du domaine public imposant des obligations précises aux opérateurs.

La question de l’assurance constitue un autre enjeu majeur pour ces nouveaux modes de transport. Si les véhicules électriques relèvent du régime classique de l’assurance automobile obligatoire, la situation est plus complexe pour les EDPM. Le Code des assurances a été modifié pour inclure explicitement ces engins dans l’obligation d’assurance responsabilité civile, mais les pratiques des assureurs restent hétérogènes, avec des garanties et des tarifs très variables selon les opérateurs.

En matière pénale, l’utilisation des transports verts peut engendrer des infractions spécifiques. Le Code de la route a été adapté pour intégrer les règles applicables aux EDPM, avec des sanctions pouvant aller jusqu’à 1 500 euros d’amende en cas de dépassement de la vitesse autorisée (25 km/h). Pour les véhicules électriques, l’utilisation frauduleuse des places de stationnement réservées ou des bornes de recharge est désormais sanctionnée par une amende de 135 euros.

Vers une gouvernance juridique intégrée des mobilités durables

L’efficacité des dispositifs juridiques encadrant les transports verts dépend largement de leur cohérence et de leur articulation à différentes échelles territoriales. La loi LOM a profondément restructuré la gouvernance des mobilités en France en créant les Autorités Organisatrices de la Mobilité (AOM). Ces entités, qui peuvent être des métropoles, des communautés urbaines ou des communautés de communes, disposent de compétences élargies pour organiser les services de mobilité sur leur territoire, y compris les mobilités actives, partagées et solidaires.

Cette décentralisation de la politique des transports s’accompagne d’outils de planification rénovés. Les Plans de Mobilité (PDM), qui remplacent les anciens Plans de Déplacements Urbains, doivent désormais intégrer des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques. Ils doivent être compatibles avec les Schémas Régionaux d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET) qui fixent les orientations stratégiques en matière de mobilité à l’échelle régionale.

Le rôle des données dans la régulation juridique des mobilités vertes

La transition vers des mobilités plus durables s’appuie de plus en plus sur la collecte et l’utilisation de données. Le cadre juridique doit donc concilier les impératifs d’innovation et de protection des données personnelles. La loi LOM a instauré un principe d’ouverture des données de mobilité, obligeant les opérateurs de transport et les gestionnaires d’infrastructure à partager leurs données statiques (horaires, tarifs, etc.) et dynamiques (disponibilité en temps réel, perturbations, etc.).

Cette obligation, qui va au-delà des exigences du règlement délégué (UE) 2017/1926 sur les services d’information multimodale, vise à favoriser l’émergence de services numériques facilitant l’usage des mobilités durables. Les données doivent être mises à disposition sur la plateforme nationale transport.data.gouv.fr, dans des formats standardisés et avec une licence de réutilisation ouverte.

Toutefois, cette ouverture des données soulève des questions en termes de protection de la vie privée. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) s’applique pleinement au secteur des transports, avec des enjeux particuliers liés à la géolocalisation des usagers. Les opérateurs de mobilité doivent mettre en œuvre des mesures techniques et organisationnelles pour garantir la sécurité des données et minimiser les risques d’identification des personnes.

La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a publié plusieurs recommandations spécifiques aux services de mobilité, notamment sur la durée de conservation des données de géolocalisation et les conditions de leur anonymisation. Elle a sanctionné plusieurs opérateurs de transport pour manquements au RGPD, rappelant l’importance d’intégrer la protection des données dès la conception des services de mobilité (privacy by design).

Perspectives d’évolution et défis juridiques pour l’avenir des transports verts

L’encadrement juridique des transports verts se trouve à la croisée de multiples transitions : écologique, numérique, économique et sociale. Son évolution future devra intégrer plusieurs dimensions pour répondre aux défis émergents. La question de l’équité sociale dans l’accès aux mobilités durables constitue un enjeu majeur, alors que les politiques de restriction des véhicules thermiques peuvent affecter disproportionnellement les ménages modestes.

La loi Climat et Résilience a prévu plusieurs dispositifs pour atténuer ces effets, comme le prêt à taux zéro mobilité pour l’achat de véhicules propres dans les ZFE-m, ou l’expérimentation de tarifs sociaux dans les transports publics. Le Conseil d’État, dans une décision du 12 juillet 2023, a rappelé que les mesures de restriction de circulation devaient être proportionnées et tenir compte de leur impact social, ouvrant la voie à de possibles contentieux si ce principe n’était pas respecté.

L’harmonisation des normes au niveau européen et international représente un autre défi majeur. La multiplication des réglementations locales (ZFE-m, restrictions de circulation, normes techniques) peut créer une fragmentation juridique préjudiciable à la lisibilité du droit et à l’efficacité économique. La Commission européenne a engagé un travail d’harmonisation des critères définissant les véhicules à faibles émissions et les modalités d’accès aux zones à circulation restreinte, qui devrait aboutir à un cadre plus cohérent.

L’adaptation du droit aux innovations technologiques

Le cadre juridique doit constamment s’adapter aux innovations technologiques dans le domaine des transports verts. L’émergence de l’hydrogène comme vecteur énergétique pour la mobilité nécessite l’élaboration de normes de sécurité spécifiques et d’un régime d’autorisation adapté pour les stations de distribution. La loi Énergie-Climat de 2019 et l’ordonnance n°2021-167 du 17 février 2021 ont posé les premiers jalons d’un cadre juridique pour la filière hydrogène, qui devra être complété par des textes réglementaires.

Les mobilités aériennes urbaines (drones-taxis, aéronefs électriques à décollage vertical) soulèvent des questions inédites en termes de droit de l’espace aérien, de sécurité et de nuisances sonores. L’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (AESA) a publié en 2021 les premières règles de certification pour ces appareils, mais leur intégration dans l’espace aérien urbain nécessitera des adaptations législatives significatives.

La question du financement des infrastructures de transport vert constitue un autre défi juridique majeur. La transition vers des véhicules électriques entraîne une érosion des recettes fiscales issues des carburants fossiles, qui représentent près de 40 milliards d’euros par an pour l’État français. Le développement de nouveaux mécanismes de financement, comme la tarification à l’usage des infrastructures ou la fiscalité kilométrique, nécessitera des évolutions législatives importantes et pourrait soulever des questions constitutionnelles en termes d’égalité devant l’impôt et de liberté de circulation.

Enfin, l’intégration des enjeux environnementaux dans le droit des transports devra se renforcer. Au-delà des émissions de gaz à effet de serre, l’impact des infrastructures de transport sur la biodiversité, la consommation de ressources pour la fabrication des batteries ou l’artificialisation des sols devront être mieux pris en compte dans les évaluations environnementales. La loi Climat et Résilience a introduit l’obligation d’intégrer l’analyse du cycle de vie complet des véhicules dans l’évaluation de leur impact environnemental, ouvrant la voie à une approche plus systémique de la durabilité des transports.